La quête du plaisir sexuel intense, aussi ancienne que l’humanité elle-même, transcende les époques. C’est une expérience naturelle, une communion profonde avec notre essence la plus intime, que nous aspirons à explorer tout au long de nos vies. C’est de cette même quête de plaisir intense qu’est né le mouvement libertin.
Cependant, il semble que ces sociétés anciennes n’aient jamais formalisé le libertinage en tant que mouvement collectif à grande échelle. En réalité, le libertinage en tant que mouvement complet, englobant la philosophie, la science et la littérature, n’apparaît que beaucoup plus tard dans notre histoire. Le terme « libertin » lui-même a des origines romaines. « Libertinus » désignait un homme autrefois esclave qui avait été libéré de ses obligations envers son maître. C’est pourquoi la philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles a adopté ce terme pour décrire une personne qui rejette les dogmes religieux.
L’Italie du XVIème siècle, berceau du libertinisme
Dans les faits, les débuts du libertinage, que l’on a d’abord appelé libertinisme, sont italiens. Très vite, de nombreux auteurs français s’emparent de ce nouveau mode de pensée et le font remonter jusqu’à la cour du Roi de France. C’est notamment le cas de Théophile De Viau. A la base, le libertin est avant tout un penseur épris de liberté, s’érigeant en opposition à une morale religieuse rigide. Là où le dogme religieux impose la foi et la croyance en un être supérieur dépassant la condition de simple mortel, le libre penseur s’autorise à douter de ces vérités et ose les remettre en question en faisant preuve de raison. En d’autres termes, le libertin de l’époque ne croit pas, il raisonne. L’homme libre n’obéit pas aveuglément, il questionne. L’esprit libre ne se soumet pas au dogme, il critique.
Inutile de préciser combien les premiers libertins ont pu souffrir de leur volonté de penser par eux-mêmes. Socrate aurait été fier d’eux. L’Eglise Catholique beaucoup moins, n’hésitant pas à mener une grande chasse aux hérétiques et à condamner au bûcher celles et ceux osant défier l’ordre moral immuable. Car plus qu’une défiance à l’ordre public imposé par le texte sacré, le libertinisme est vécu par les tenants du pouvoir catholique comme une volonté manifeste de remise en question d’un modèle sociétal. Par définition, les hommes de pouvoir craignant en permanence de le perdre, s’empressent de châtier les incongrus à la pensée inopportune avant que leurs idées ne se répandent et affranchissent toute une population de leur joug. L’histoire, et plus particulièrement l’histoire politique, relate sans cesse les sacrifices préalables à un changement de paradigme. Il faut être un esprit fort pour oser la critique acerbe et raisonnée d’un état autoritaire. C’est dans ces moments-là que l’on saisit l’importance de l’art, de la culture, de la philosophie et de la littérature. Nombre d’auteurs du XVIème siècle ont payé de leur vie leur libertinisme, ils sont de ceux qui ont permis d’infuser une liberté nouvelle au sein de la société.
Les sources aux origines du libertinage
Parmi les sources ayant alimenté cette volonté d’opposition au dogme catholique, on trouve des concepts antiques développés par d’éminents philosophes comme Démocrite et Epicure. Bien sûr, l’épicurisme et l’hédonisme, dérivé des concepts épicuriens, mais également le matérialisme, le scepticisme cher à De Montaigne et à René Descartes ou le rationalisme humaniste né au XVIème siècle, font aussi partie des sources aux origines du libertinage. A ces idées et ces concepts, on ajoutera les récits érotiques initiatiques du tantrisme, les idées Stoïciennes prônant la pleine conscience de l’instant présent et d’autres contes, récits ou pensées propres à alimenter l’idée que chaque être humain doit se servir de sa raison pour son bien-être plutôt que d’appliquer à la lettre la morale imposée dans la crainte d’un hypothétique châtiment suprême. Bref, le XVIème siècle amorce un véritable changement de mœurs. Le cours de l’histoire est en train de changer.
Le XVIIIème siècle et les origines du libertinage physique
Le XVIIIème siècle arrive et avec lui les philosophes des lumières. C’est l’ère de la pensée libre et libertaire et de l’expérimentation. Denis Diderot dans son œuvre, exhorte la population à se libérer de toute contrainte d’ordre moral, sexe y compris. C’est un nouveau chapitre dans le roman libertin, la véritable naissance du libertinage tel qu’on le connaît aujourd’hui. La définition de la première encyclopédie ne laisse d’ailleurs place à aucun doute quant à la nature sexuelle de la pratique du libertinage moderne : le libertinage, « C’est l’habitude de céder à l’instinct qui nous porte aux plaisirs des sens… ».
Dès lors, hommes et femmes revendiquent leurs droits aux plaisirs et aux désirs sexuels les traversant. Le corps et l’esprit se libèrent de la tutelle religieuse et la littérature et la philosophie s’en font l’écho à travers des ouvrages devenus des références de notre époque contemporaine. On peut citer les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos, les écrits du prolifique marquis de Sade ou des personnages comme Dom Juan et Casanova. Le libertinage est sorti des salons philosophiques et littéraires et peut désormais s’appliquer à toutes les composantes de la vie quotidienne. Non seulement la critique des mœurs rigides de la religion y est acerbe, mais ces auteurs dépeignent l’homme libertin et la femme libertine comme pleinement épanoui(e)s. Là encore, un nouveau chapitre s’écrit.
Libertinage : Le renouveau de la morale
On pourrait penser qu’ensuite, les libertins ont pu jouir librement de leur corps et de leur esprit en étant plus intégrés et acceptés par la société. Mais le grand mouvement transversal du Romantisme et le retour de la morale pudibonde est venu compliquer leur existence. N’ayant plus de dogme religieux contre lequel lutter, le libertinisme philosophique a perdu de sa force. En France, la philosophie se penche alors sur d’autres problèmes inhérents à la société (humanisme, économie, etc) et le monde n’a d’yeux que pour les vers de Charles Baudelaire, d’Alphonse de Lamartine ou les romans de Gustave Flaubert ou de Stendhal. Ces derniers ne s’interdisent pas l’érotisme, pas plus que la relation sexuelle au sein de leur littérature, au même titre que d’autres auteurs avant et après eux. Mais cette fois, le libertinage n’est plus une fin en soi. Il sert un récit, une histoire, un roman…
Peu importe après tout ! Puisque les libertines et les libertins pouvaient dorénavant vivre leurs fantasmes pleinement. La Nature ayant horreur du vide, il fallait bien un nouveau mouvement littéraire pour prendre la place laissée vacante. Le Romantisme impose alors sa vision du monde et s’étend partout : art, culture, littérature… Il n’est pas un écrit, pas un texte, pas un tableau qui n’évoque ce qui restera sans doute comme le plus grand mouvement littéraire de tous les temps. Les codes et les mœurs changent encore et la mode n’est plus à l’amour libre mais aux sentiments éternels. Les libertins retournent se cacher et la moraline s’empresse de les clouer au pilori. La critique libertine bat son plein. La France du XIXème siècle est une société refoulant l’oisiveté et les loisirs de tous ordres pour la stabilité et l’efficacité de l’entreprise. Pourtant, rien ne semble interdire la lecture romantique et la pratique libertine…
Aux origines du libertinage moderne
Finalement, il faudra attendre le XXème siècle et la libération des mœurs pour voir réapparaître le libertinage dans sa version purement sexuelle. Dégagé de tout concept philosophique sous-jacent, le libertinage fait peau neuve et se vit d’amour et d’eau fraîche, de plaisirs charnels et de subversion. A nouveau l’art provoque, la culture s’enhardit, la littérature se lâche et la liberté sexuelle reprend ses droits.
Les libertins du XXème et du XXIème siècle ne cherchent plus à déjouer un ordre moral. Ils ne demandent qu’à vivre pleinement leurs désirs, sans chercher à convaincre qui que ce soit ni à imposer leur vision de la société. Certes, ils sont encore parfois traités de gens à la morale douteuse par une frange réactionnaire de la population. Mais qu’importe, le plaisir est là. Et tant pis pour tous ceux incapables de le saisir. Les origines du libertinage moderne sont donc très récentes. Et même si l’on se réfère encore à de très anciennes sources philosophiques et littéraires, la chair passe avant tout. Chapitre après chapitre, le roman libertin a su faire évoluer la société française. Il a contribué à faire naître des esprits libérés, des mœurs de la religion, nous a permis la lecture d’œuvres enrichissantes à plus d’un titre, formant notre esprit et a explosé un plafond de verre, celui de notre rapport aux corps.
Après tout, quoi de plus beau que de partager un plaisir intense remontant le long de l’échine, du sexe jusqu’au rachis, dans une explosion hormonale sans comparaison possible. Quelle société pourrait se passer d’un tel plaisir, d’une telle jouissance ? Quel nouveau dogme politique ou emprunté à la religion pourrait dorénavant nous priver de la liberté sexuelle ? Quels esprits nauséabonds pourraient nous convaincre d’abandonner cette culture libertine, cette philosophie des plaisirs, cet art du sexe sensoriel ? Rien ne peut imposer qu’un orgasme prostatique, vaginal, clitoridien ou mixte doit être obligatoirement partagé entre deux mêmes êtres tout au long de leur vie. Rien n’oblige non plus plusieurs êtres à l’amour dans leur quête orgasmique. Les esprits libres aiment le sexe et la liberté comme d’autre aime la culture, la politique ou l’art. Et quand on aime sincèrement quelque chose, on le partage au plus grand nombre, non ?